mardi 12 avril 2011

Le monstre et le monstrueux


Introduction

De tout temps et encore aujourd’hui le monstre est perçu comme une chose et non un homme. Il est très difficile pour l’homme de s’associer à l’image de quelqu’un de différent de lui. Selon le dictionnaire Larousse : « un monstre est un être vivant présentant une extraordinaire malformation ». C’est cette malformation extraordinaire qui fait que l’homme ne peut associer la personne monstre au même genre que lui. Il ne peut non plus lui trouver des ressemblances avec une bête ou un animal même si très souvent on retrouve des ressemblances entre le dit monstre et un animal. On retrouve souvent des écrits dans lesquels on apprend la naissance d’un animal par une femme.
Mais l’homme n’a pas toujours été à l’encontre des monstres. On va découvrir qu’en fonction des siècles et des lieux, le monstre n’a pas toujours eu la même image, il peut être une sorte d’annonce prophétique (notamment durant l’Antiquité) mais aussi une annonce maléfique (Moyen Age). Beaucoup de scientifiques se sont penchés sur leur cas, émettant parfois des hypothèses qui aujourd’hui peuvent nous paraître fantaisistes.
On a travaillé la question du monstre à partir de cette idée : quelle a été l’image du monstre durant les différents siècles ?
Pour répondre à cette question on va d’abord avoir une vision d’ensemble du monstre dans l’Histoire. Ensuite on parcourra la figure du monstre pour terminer sur une analyse du film Freaks qui est une bonne illustration des monstres et de comment il peut être perçu par la société.




1. L’histoire du monstre

Le monstre n’a pas toujours eu la même représentation au cours des siècles précédents. Pour Georges Canguilhem dans La connaissance de la vie : « la nature a un type idéal en toute chose, c’est positif, mais jamais ce type n’est réalisé. » L’homme a un idéal qu’il s’est forgé, une idée forte que chaque homme, même s’il est très différent d’un autre, à quelque chose de ressemblant avec les autres hommes. Si il n’y a pas cette ressemblance, l’homme va se poser des questions quand à ces anomalies qui peuvent être présentes. Pour Canguilhem, l’homme est perdu face au monstre ou au monstrueux car on nous a enseigné l’ordre et que « le même engendre le même ». Il explique que : « le monstre, c’est le vivant de valeur négative, sa valeur est de repoussoir {…}. C’est la monstruosité et non pas la mort qui est la contre-valeur vitale {…} ».
On va percevoir le monstre de différentes façons : peur, fascination mais aussi parfois une certaine curiosité.

·      Période de l’Antiquité

Pour parler de cette période, on va s’inspirer de ce qui est racontée au début du livre d’Ernest Martin Histoire des monstres. Le livre débute par le récit d’une découverte archéologique en Egypte en 1826. On découvre dans un tombeau une étrange momie. Pour les chercheurs, cette momie ne pouvait être un homme, elle avait une apparence proche de celle du singe. On demanda à Etienne Geoffroy Saint-Hilaire ce qu’était cette momie pour lui et il démontra que derrière les bandelettes se trouvaient un homme au corps monstrueux.
De part cette découverte, on compris que dans l’Egypte ancienne, une place spéciale était réservée au corps monstrueux. Il n’était pas une bête ou un homme que l’on rejetait mais on pouvait l’associer à une des divinités des égyptiens. C’est pourquoi cette momie retrouvée au 19ième siècle a eut ce privilège d’être momifiée et préservée pendant de longues années, elle a reçu les mêmes soins qu’un autre humain.
Un autre traitement est réservé au monstre (toujours dans l’Antiquité) à Rome ou en Grèce. La vie et la naissance des monstres sont réglementées par une jurisprudence. Par exemple, Romulus a interdit l’exposition d’enfant ayant une difformité si au moins cinq voisins avaient donné leur consentement. On ne peut montrer ses enfants aux autres que s’ils sont dits et perçu comme « normaux ».
Il y aussi des droits que se donne les citoyens comme celui de brûler les monstres s’il le faut. On autorisait les pères le droit de tuer leur enfant si celui-ci avait une infirmité car il fallait des citoyens en bonne santé pour se battre, une quelconque infirmité rendait impossible le combat. On accorde une attention particulière à la naissance du monstre qu’il provienne d’une femme ou d’un animal. Ainsi en Grèce, on fait appel au devin pour connaître quel est le présage bon ou mauvais derrière cette naissance.
Le sort réservé à la mère du dit monstre n’est pas meilleur. À l’exception de l’Egypte, on sacrifie également la mère, on la condamne d’avoir mis au monde un enfant monstrueux qui n’est plus considéré comme enfant. La mère est très souvent lapidé, elle est là pour expier une faute (qu’elle ou son mari avait peut-être commis), le ciel l’a désigné par cette naissance comme responsable. À Rome, le sort est à la base presque aussi cruel. La mère doit disparaître pendant quelque temps car la population souhaite sa mort. Après quelque temps, vient l’apaisement et elle peut revenir dans son foyer tout en se purifiant du mal qui l’avait touché.

·      Le Moyen Age et la Renaissance

Lors du Moyen Age, c’est une vision moins contrastée que l’on retrouve à propos du monstre. Pour Ambroise Paré, les causes des monstres sont au nombre de treize, il les énumère dans son livre Des monstres et des prodiges :
                       I.        La première est la gloire de Dieu.
                     II.        La seconde, son ire.
                   III.        La troisiéme, la trop grande quantité de semence.
                    IV.        La quatriéme, la trop petite quantité.
                      V.        La cinquiéme, l’imagination.
                    VI.        La sixiéme, l’angustie ou petitesse de la matrice.
                  VII.        La septiéme, l’assiette indecente de la mere, comme, estant grosse, s’est tenue trop longuement assise les cuisses croisées, ou serrées contre son ventre.
                VIII.        La huitième, par cheute, ou coups donnés contre le ventre de la mere estant grosse d’enfant.
                    IX.        La neufiéme, par maladies hereditaires, ou accidentales.
                      X.        La dixiéme, par pourriture ou corruption de la semence.
                    XI.        L’onziéme, par mixtion, ou meslange de semence.
                  XII.        La douziéme, par l’artifice des meschans belistres de l’ostiere.
                XIII.        La treiziéme, par les Demons ou Diables.[1]

Cette dernière cause est une des plus importante, on a souvent crus que les monstres ou personnes ayant des formes différentes venaient des entrailles de l’enfer. On croit que le monstre apparaît dans un royaume ou une maison pour punir les habitants. Le monstre est la punition aussi de Dieu qui ne protège plus la famille de son pouvoir divin.
Comme durant l’Antiquité, le monstre va être mis à mort et les parents (encore la mère) sont les fautifs de cette naissance, ils sont soit punis ou bannis. Le monstre n’est plus seulement physique, il peut aussi être celui qu’on accuse de sorcellerie envers des personnes. C’est pourquoi le sort du monstre est souvent le même que pour le ou la sorcière. On tente d’abord de le purifier par la religion et si cela ne fonctionne pas, le monstre sera brûler ou chasser.

·      L’époque contemporaine

Dès le 18ième siècle, le monstre n’est plus perçu comme la chose qu’il faut fuir, celle qui peut apporter le malheur. On va commencer à étudier le monstre, il peut nous apprendre quelque chose sur la conception de l’homme. Les monstres vont être peu à peu exposer au regard des autres que ce soit dans des foires ou même étudier dans des universités. Le monstre est exposé vivant mais aussi mort car il a toujours sa différence. Ces exhibitions des monstres se prolongent encore durant le 20ième siècle. Les personnes qui se rendent dans ces foires sont à la recherche de sensation, d’une différence frappante.
Il faut faire attention de ne pas associer la figure du monstre à celle de l’handicapé. Trop souvent, des personnes voient en l’handicapé une forme de monstruosité, le terme handicap ne contient pas seulement les personnes à mobilité réduite ou les non-voyants. Dans son ouvrage Phénoménologie des corps monstrueux, Pierre Ancet souligne cette distinction en reprenant un extrait du livre Regards sur le handicap[2], les auteurs se rendent dans une maison de polyhandicapé où ils rencontrent une personne qui va leur décrire la vision d’une personne fortement brûlé :
« La différence… la différence à première vue… ça me semble pas très heureux comme truc… d’être aussi handicapé… Enfin… à première vue… Y’a une personne qui est arrivée ici… quand elle est arrivée… au départ… j’ai pas… enfin à première vue comme ça… je pouvais pas voir si c’était un garçon ou une fille… Quand on voit ça pour la première fois… ça choque forcément… »[3]
Cette réaction est celle d’une personne ne pouvant trouver les mots quand à savoir si elle est en présence d’un homme ou d’une femme. Elle va parler de sa vision car le premier contact que l’on peut avoir avec la personne handicapé se fait par la vision, le sens qui va tenter de nous donner une description plus ou moins correcte de ce que l’on voit. On va vouloir comprendre et analyser la personne qui se trouve face à nous, qu’a-t-elle de différent ? D’où vient cette différence ? Cette interprétation est amenée car on voit en ce corps différent une partie de nous qu’on ne veut pas connaître à cause des normes que l’on nous a apprises.
La question du monstre n’est pas oubliée aujourd’hui mais on ne l’appelle plus comme tel. On ne dit plus monstre pour des siamois, on cherche un terme pour chaque personne qui possède une difformité. La science accorde encore un grand intérêt à ces personnes, il y a eu quelques opérations sur des siamois pour les séparer et que les deux personnes puissent vivre seule normalement. On tente aujourd’hui de soigner les difformités, on ne les cache plus du public même si on ne les expose plus.



2. La figure du monstre

On trouve beaucoup d’exemples correspondant à la définition la plus commune du monstrueux, principalement dans la mythologie gréco-romaine. Les plus connus sont ceux qui furent vaincus par les héros, tels l’hydre de Lerne, le dragon à plusieurs têtes de serpents vaincu par Hercule ; les gorgones, 3 femmes à chevelure de serpents, Méduse qui a été vaincue par Percée ; le Minotaure, tué par Thésée ; les harpies, femmes avec un corps d’aigle, responsables d’enlèvements ; etc.
Découlant de ce type de monstre, on a aussi tous ceux qui sortent de notre imagination et qui peuplent les films de série B et Z, tels que dans Le peuple de l’enfer de Virgil W.Vogel, ou l’étrange créature du lac noir de Jack Arnold, en 1954 ; avec des monstres plutôt pathétiques qui aujourd’hui nous font bien rire ; d’autres, aidés par les prouesses techniques d’aujourd’hui ont plus d’effets : alien ou encore la série des prédators.
De même, certains monstres sont nés de légendes et de superstitions, et ont nourri grand nombre de films d’horreurs et d’épouvantes, mais aussi la littérature. On parle bien sûr de Dracula et de tous les vampires que l’on peut retrouver aujourd’hui ainsi que les loups-garous, les morts-vivants et bien d’autres. On ne compte plus les productions mettant en scène le fameux Dracula, principalement incarné par Christopher Lee (le cauchemar de dracula ; dracula et les femmes ; dracula73 ; dracula père et fils…), ou le monstrueux loup garou (le loup garou de Londres, hurlements, la nuit du loup garou …). Ces mêmes monstres sont remis au goût du jour avec les succès de twilight, true blood, moon light, etc.

Il y a aussi les monstres qui naissent avec des difformités ou qui sont victimes de maladies, amputés. Ils sont vus comme des monstres parce qu’ils sortent des normes créées par la société ; ces mêmes monstres étaient exposés dans les foires, aujourd’hui ils sont considérés comme malades et désignés comme handicapés pour être politiquement correct. Certains films illustrent ce propos dont l’un des plus célèbre est Elephant Man.

On a aussi des monstres qui ont été créés par la main de l’homme, issus de manipulation, l’un des plus célèbre est le monstre de Frankenstein, on se trompe souvent en inversant les noms. Le monstre, par sa naïveté, fini par créer des accidents, qui lui mettent la population à dos. On retrouve ce même schéma avec Edward aux mains d’argent, de Tim Burton, le créateur meurt avant d’avoir pu achever sa créature. Il vit certes seul, mais sans ennui jusqu’à ce qu’il entre en contact avec les humains, qui essaient de l’influencer, que ce soit par le port de vêtements normaux ou encore de la vie en société. Sa pureté et sa naïveté se heurtent à l’incompréhension de cette société qui finira par vouloir sa mort ; il n’en réchappera qu’en retournant à son ancien mode de vie.

De nos jours on donne plus de considération au sens moral du terme, c’est à dire que des gens paraissent normaux, mais par leurs actes se révèlent monstrueux cela se voit avec les pédophiles, infanticides, tueurs en séries ou autre.
Certains films se sont inspirés de cette notion du monstrueux, comme Funny Games de M.Haneke, 1997 ; 2 garçons propres sur eux en apparence et justifiant leurs actes commettent des meurtres ; Elephant, basé sur des faits réels, où on a aussi deux adolescents apparemment normaux deviennent fous en suivant leur propres règles. Dans le film les damnés, de J. Losey, 1963, deux adultes ne vont pas survivre à leur rencontre avec des enfants pas si naïfs ; psychose d’Alfred Hitchcock est l’histoire d’un homme qui est atteint d’une forte névrose.
On peut, peut-être aussi, placer dans cette catégorie, les monstres des films comme l’invasion des profanateurs, ou the thing, parce que même si les monstres ne sont pas humains mais d’origine extraterrestre, ils prennent notre apparence, et ne se trahissent que par leurs actes.



3. Exemple dans l’art : Freaks (1932) de Tod Browning

Le terme freaks regroupe un ensemble de monstres visibles mais cela peut aussi être un personne qui provoque une forte réaction de la part du public qui l’observe. Cela peut regrouper le monstre mais aussi une très grande personne ou un obèse. Ce n’est plus seulement nominatif pour les monstres.
Freaks raconte l’histoire d’une belle trapéziste qui veut épouser le nain Hans pour son argent, et décrit également la vie quotidienne des « monstres humain » dans un cirque. Ces derniers, comme la femme à barbe, l’homme tronc, les sœurs siamoises, androgynes, difformes sont rejetés par la société qui ne légitime leur existence qu’au sein de cet espace clos qu’est le cirque où ils sont exhibés.
C’est ce que prouve la séquence de rencontre dans le jardin entre le propriétaire et les monstres (cf séquence), lorsque leur « mère » précise qu’ils viennent du cirque, ils sont acceptés car leur présence et leur existence sont justifiées.
La référence dans le film est double, car la présence de la foire, et le principe d’exhibition rappelle qu’à ses débuts, le cinéma se trouvait dans ce genre de lieu, on exhibe les monstres comme on montrait le cinéma, tous les deux sont relégués au rang d’attraction, tout comme les spectateurs sont relégués au rang de voyeurs.
Le film insiste sur l’humanité de ces monstres, qui forment une famille, et se défendent les uns les autres, comme le dit l’un des nains « si on touche à l’un d’entre nous, on touche à nous tous ».
Le film nous place donc du point de vu des monstres, faisant valoir pour de vrais monstres la trapéziste et son amant ; d’ailleurs si ce dernier est tué, elle, finira transformée et exhibée au même titre que les autres, voir pire. On pose alors la problématique suivante, les véritables monstres ne sont-ils pas ceux qui paraissent normaux mais se révèlent monstrueux au sens moral du terme ?
Lors de la séquence du mariage, on a une cohabitation soulignée entre les deux types d’ « artistes », mais les monstres sont vite remis à leur place par la trapéziste qui les traite de monstre parce qu’ils disent qu’elle fait maintenant partie des leur. Dès que cette cohabitation va plus loin, elle définit clairement les limites et leurs différences et les chasse de son mariage car elle ne veut pas être vue avec eux, ni qu’on l’associe à leur image.


Conclusion

Majoritairement, notre vision superstitieuse n’est plus influencée par la religion. Malgré cela, notre regard sur le monstre reste influencé par toutes les normes que la société nous impose. Pourtant dans d’autres pays comme en Inde, ces superstitions continuent de perdurer, les enfants naissant avec des difformités, avec plusieurs membres sont parfois vus comme des incarnations de l’un de leurs dieux.
La figure du monstre n’est plus celle qui possède une difformité. Le monstre actuel peut être la personne qui fait du mal, le pédophile mais aussi la personne qui tue sans aucune raison. On ne parle plus de monstre physique mais psychologique.


Bibliographie

La connaissance de la vie de Georges Canguilhem, Paris, 2003, éd. J. Vrin.
Monstres : une histoire générale de la tératologie des origines à nos jours d’Olivier Roux, Paris, 2008, CNRS édition.
Phénoménologie des corps monstrueux de Pierre Ancet, Paris, 2006, Presse universitaire de France.
Des monstres et des prodiges d’Ambroise Paré, Paris, 2003, L’œil d’or.
Histoire des monstres : depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours  d’Ernest Martin, Grenoble, 2002, J. Million.


[1] Ambroise Paré, Des monstres et des prodiges, Paris, l’œil d’or, 2003, pg 86.
[2] Ouvrage de C. Assouly-Piquet, F. Berthier-Vitoz, Paris, Desclée de Brouwer, 1994.
[3] Pierre Ancet, Phénoménologie des corps monstrueux, Paris, PUF, 2007, pg 30.

1 commentaire:

  1. il faut voir le film de losey "les damnés", il est plus complexe, et les enfants sont réellement naïfs. Il soulève également toutes les dimensions et les rapports entre la société et le monstrueux (l'altérité, la différence) ce dans une optique de la modernité (puissance atomique, radiations, scandales sanitaires, role du pouvoir). Il à été vendu comme un film d'horreur, une erreur en mon sens

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